Formation-Etudes Témoignages [628] |
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Posté le : 12/09/2005 à 08:18 (Lu 9490 fois) | | | Commentaire : l#8217histoire de Tlemcen qu#8217il avait longtemps rêvé d#8217écrire et que seule la force des événements l#8217en avait empêché.
Abdelkader Mahdad, professeur de lettres et homme politique
Par Rachid BENBLAL Avocat Et Historien
Des mille et des mille furent les intellectuels algériens qui consacrèrent une grande partie de leur existence au combat pour l’indépendance du pays. Ce devoir sacerdotal fut précisément celui qu’a pris à tâche le professeur Abdelkader Mahdad d’accomplir avec un dévouement remarquable. Le grand historien français Fernand Braudel disait que «le présent est fait à 90% du passé et que celui-ci entoure chacun de nous de sa présence vitale».
Assurément, l’Algérie aurait-elle été celle d’aujourd’hui sans les anciennes générations d’instituteurs, de professeurs, de médecins, de pharmaciens, d’avocats et d’artistes algériens ? Serait-on passé des ulémas réformistes, des cheikhs de zaouïas, ces glorieuses forteresses qui furent et sont encore depuis des siècles le refuge inexpugnable de la foi et des sciences islamiques ? Que serait-on aujourd’hui sans Mohammed Bencheneb, sans Malek Benabi, sans cette prestigieuse école littéraire illustrée par Kateb Yacine, Mohammed Dib, Mouloud Mammeri et par tant d’autres écrivains et poètes qui ont servi les lettres et la patrie ?
On dit qu’aimer c’est ressusciter. Autant que tous ceux qui font partie de l’élite de la nation que nous aimons et qui ont des titres à notre reconnaissance, M. Abdelkader Mahdad mérite lui aussi qu’on le fasse revivre dans nos coeurs et dans nos esprits. De nos jours, qu’évoque le nom de ce grand serviteur de la nation pour les jeunes Algériens ? Hélas !, presque rien.
Autant qu’on le sache, comme malheureusement pour beaucoup d’Algériens et d’Algériennes qui ont bien mérité de la nation, ni dans nos villes ni dans nos villages, aucune place publique, aucune rue, aucun établissement scolaire ne porte le nom de Abdelkader Mahdad. Comment peut-on songer qu’on ait pu à ce point l’oublier ? Décidons-nous, sans temporiser davantage, à soulever le suaire de l’oubli où il est enseveli avec tant d’autres Algériens de mérite.
M. Abdelkader Mahdad naquit à Tlemcen le 21 novembre 1895. Il appartenait à une ancienne et noble famille de la petite bourgeoisie tlemcénienne. Après des études primaires et secondaires entreprises à Tlemcen, il s’inscrivit à la faculté des lettres d’Alger. Son ardeur au travail était exceptionnelle. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, il occupa le poste de professeur d’arabe au collège de Mostaganem. Quelques années après, il fut nommé professeur d’arabe au lycée Pasteur d’Oran. En 1932, il obtint le titre d’agrégé d’arabe. Les mérites de son enseignement lui gagnèrent promptement l’amitié de ses collègues et l’estime de ses élèves, qu’il entretint et conserva pendant longtemps avec la plupart d’entre eux, dont le regretté professeur Bachir Guellil et le moudjahed et éminent homme politique Bachir Boumaza.
M. Abdelkader Mahdad consacrait tous ses loisirs à la littérature et aux sciences humaines et religieuses, de sorte qu’il était de tous les séminaires et congrès des sociétés savantes organisés aussi bien en Algérie qu’à l’étranger. Il avait spécialement un goût très vif pour la poésie. Il en composait aussi bien dans la langue d’El-Moutanabi que dans celle de Lamartine. C’est à son exemple que son ami, le regretté Hadj Benchehida Abdelhamid, en faisait de même. Le jeune professeur Abdelkader Mahdad jouissait dans l’élite cultivée de son temps d’une bonne réputation. On recherchait partout son amitié.
Un vieil ami qui l’a bien connu m’a raconté cette anecdote. Cela se passait, me dit-il, à Tlemcen, dans les années 1930. Le jeune professeur Abdelkader Mahdad avait été invité ainsi que plusieurs hôtes de marque à un dîner organisé par un riche commerçant en l’honneur du Cheikh El-Bachir Ibrahimi. A la fin du repas, M. Abdelkader Mahdad sortit d’une des poches de sa veste une feuille de papier portant un poème en arabe d’une trentaine de vers qu’il avait composé pour l’offrir comme marque d’estime au Cheikh El-Bachir Ibrahimi. »Lisez votre poème, on vous écoute», lui dit ce dernier. Lecture faite, Cheikh El-Bachir Ibrahimi, qui était d’un naturel sérieux mais qui parfois aimait à plaisanter de façon fine avec les personnes de bonne compagnie, s’adressant à M. Abdelkader Mahdad, lui dit: »Désolé si Mahdad, mais ce poème n’est pas de vous !». Et pour prouver son affirmation, Cheikh El-Bachir Ibrahimi récita de bout en bout le poème lu par M. Abdelkader Mahdad. La stupeur qui se lit aussitôt dans les yeux du jeune professeur fut heureusement de courte durée, car un des assistants s’empressa de le rassurer en lui dévoilant en aparté que Cheikh El-Bachir Ibrahimi était doué d’une si bonne mémoire qu’il lui suffisait de prêter l’oreille pour enregistrer et restituer aussitôt un poème ou un texte en prose. Que c’était tout bonnement une bouffonnerie. Sur ces entrefaites, Cheikh El-Bachir Ibrahimi esquissa un large sourire et fit compliment de la beauté du poème du jeune professeur.
C’est à une autre cause que l’enseignement et la poésie que M. Abdelkader Mahdad consacra son savoir et son intelligence. Durant plus de trente années, des organisations de jeunesse, du conseil municipal d’Oran à l’Assemblée constituante et jusqu’au Conseil de la République et au-delà, M. Abdelkader Mahdad oeuvra sans discontinuer et avec le dévouement d’un chaleureux patriotisme en sa qualité de militant de l’Union Démocratique du Manifeste Algérien (UDMA), le parti de Ferhat Abbas, pour le réveil du nationalisme et, partant, pour l’indépendance de l’Algérie.
Au sein de ces assemblées, la polémique et l’argumentation historique étaient son véritable terrain. C’est au Conseil de la République qu’il déploya son action politique avec de grandes qualités oratoires. Nous n’entreprendrons pas de rappeler toutes ses interventions au sein de cette assemblée, mais nous n’en évoquerons que celles qu’il a faites au cours des séances du 24 juillet et du 20 août 1947. Nous en ferons ressortir quelques passages dignes d’intérêt.
Pour la première fois, en 1947, le Parlement français se donna pour tâche de définir le statut de l’Algérie. Ce parlement comprenait une Assemblée nationale de 627 députés élus pour cinq ans et un Conseil de la République de 320 membres pour six ans et renouvelables par moitié tous les trois ans: il n’a qu’un rôle, consultatif. Une ordonnance du 17 août 1945 avait accordé aux Algériens musulmans du deuxième collège d’envoyer au Parlement français un nombre de représentants égal à celui des Français du premier collège. C’est à la faveur de cette ordonnance que M. Abdelkader Mahdad fut élu au Conseil de la République, siégeant à Paris à l’emplacement de l’actuel Sénat. Au cours de la séance du 24 juillet 1947 du Conseil de la République, M. Abdelkader Mahdad s’opposa au vote des crédits pour l’Indochine et s’éleva contre l’envoi des renforts pour rétablir l’ordre à Madagascar. Répondant au ministre de l’Intérieur, il s’exprima ainsi: «Rétablir l’ordre, nous savons, hélas !, ce que cela veut dire. En mai et juin 1945, l’armée a rétabli l’ordre dans le département de Constantine en massacrant des milliers de victimes innocentes, en brûlant et saccageant des villages entiers, aujourd’hui disparus et dont l’emplacement a été labouré. Il est à présumer et à craindre que le rétablissement de l’ordre ne corresponde là aussi à une répression féroce et à des représailles...». Au cours de la même séance, M. Abdelkader Mahdad s’éleva également contre les exactions commises par les Français au début de l’année 1945 à Casablanca et à Aumale, aujourd’hui Sour El-Ghozlane.
Le 20 août 1947, du haut de la tribune du Conseil de la République, M. Abdelkader Mahdad combattit sa collègue, une certaine Mme Devaud, qui avait osé affirmer »que les ancêtres des Algériens étaient d’abominables pirates qui vivaient de l’esclavage». Révolté par ces critiques, M. Abdelkader Mahdad lui retourna la vilenie en lui rappelant les galères royales au XVIIe siècle qui fourmillaient de captifs algériens. Il lui remit également en mémoire les bagnes d’Hitler, »auprès desquels, dit-il, les galères d’Alger étaient des paradis». Cette conseillère reçut ce jour-là, cela se devine, une correction mémorable et tous ses collègues français mêmement.
Il est évident que dans le contexte politique de la fin des années 1940, il fallait un certain courage à un représentant musulman pour apporter la contradiction à un ministre tout-puissant de l’Intérieur et à une parlementaire française au sein d’un Conseil de la République composé à 90% de représentants français, les plus acharnés adversaires des Algériens musulmans. Il faut se souvenir qu’en 1947, soit deux ans après les massacres de mai/juin 1945 commis à l’est du pays et les innombrables arrestations des nationalistes algériens, le peuple algérien était terrifié par l’armée et les services de sécurité français.
Le plus terrible, ce fut, comme pendant la guerre de libération, le comportement ignoble des responsables politiques et militaires français, des hommes cultivés et prétendument épris de liberté, de paix et de justice. Au moment où l’on édifiait en France et partout en Europe des stèles portant le nécrologe des victimes de la Deuxième Guerre mondiale, marquée d’effroyables massacres et de déportations de civils innocents, ces hommes politiques et ces chefs militaires reproduisaient en Algérie les procédés ignobles de la Gestapo: camps de concentration, exécutions sommaires, tortures, etc.
Avec le même courage et les mêmes convictions politiques, M. Abdelkader Mahdad dressa un violent réquisitoire contre l’administration et les colons français. Pour étayer ses griefs, il se servit de témoignages accablants d’historiens français, dont Alexis de Tocqueville, Stéphane Gsell, Félix Gauthier, Charles-André Julien et Lacheller, le directeur de la Revue du monde musulman. Après avoir rappelé le passé glorieux de l’Algérie, M. Abdelkader Mahdad conclut son intervention en ces termes: «Mesdames, Messieurs, je ne me fais pas d’illusion. Au point où en sont les débats, les positions me semblent prises. Vous allez rejeter notre proposition de loi portant création de la République algérienne au titre d’Etat associé dans le cadre de l’Union française. Mais nous avons la certitude qu’un jour viendra où le Parlement français, mieux informé, fera droit aux légitimes revendications de notre pays. La route de l’émancipation des peuples est jonchée d’obstacles. Nous aurons le courage et la patience de surmonter les uns et les autres jusqu’à la victoire finale».
Assurément, quinze années après, cette vaticination ne s’est-elle pas révélée vraie ?
Cet homme, dont le souvenir fortifie la foi des jeunes Algériens et les attache à leur pays, aura sa vie durant déployé son énergie intellectuelle pour l’amour de l’Algérie. A l’indépendance, sa préoccupation fut de renouer avec sa vocation première, l’enseignement. C’est ainsi qu’il occupa pensant quelque temps le poste d’inspecteur d’Académie à Tlemcen.
La Turquie l’a toujours fasciné par la grandeur de son histoire et la beauté de ses villes. En 1963, il exauça son désir en s’y rendant. Il devait y séjourner durant plusieurs années. En 1987, il retourna à Tlemcen où il mourut sept ans après, à l’âge de 99 ans. C’était le 20 mai 1994. Nous étions très nombreux ce jour-là à faire la prière pour lui à la Grande Mosquée. Nous l’avons emmené pour l’enterrer au cimetière Sidi Senouci dans le même fourgon mortuaire où nous avions placé la dépouille mortelle de Hadj Djamel Etchiali, un homme d’une extrême obligeance et fort estimé tant à Oran qu’à Tlemcen.
En chemin, l’image de M. Abdelkader Mahdad me revenait à la mémoire. Je le revoyais au soir de sa vie cheminant en silence rue de France et chaudement vêtu d’un complet veston noir et coiffé de son éternelle chéchia. Je me rappelais la dernière fois où je l’avais rencontré il y a bien longtemps à Tlemcen. De sa voix douce et posée et tout en rengainant ses paroles, il me parla de l’histoire de Tlemcen qu’il avait longtemps rêvé d’écrire et que seule la force des événements l’en avait empêché.
Dans ma mythologie de jeune intellectuel, ce grand homme représentait le dernier survivant de la génération des Bencheneb, des Soualah, des Dhina, des Basset, des Blachère et de tant d’autres savants prestigieux.
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Re: Témoignages [629] |
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Posté le : 12/09/2005 à 08:22 (Lu 9489 fois) | | | M. Abdelkader Mahdad naquit à Tlemcen le 21 novembre 1895.
1995 c'est une bonne année pour renaitre: ( erreur de date,excusez le texte) Cela n'enlève rien à la grandeur de ce monsieur.
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Re: Témoignages [630] |
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Posté le : 12/09/2005 à 08:27 (Lu 9488 fois) | | | la date citée est bonne, fallait lire 1895
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Re: Témoignages [633] |
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Posté le : 12/09/2005 à 18:00 (Lu 9484 fois) | | | J'aimerais savoir pourquoi la personne qui a posté les message precedents ne s'inscrit pas sur le forum? ces posts sont d'une tellle qualité qu'il est dommage que l'on ne sache pas à qui on a faire. Inscrivez vous et cessez d'etre anonyme cher ami
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Re: Témoignages [636] |
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Posté le : 13/09/2005 à 08:48 (Lu 9482 fois) | | | L'homme invisible
" Il est demandé au scientifique de nier sa propre personne ("objectivité") pour obtenir le droit d'être honoré en tant que personne. Le scientifique s'efforce d'être invisible dans ses travaux mais garde dans un tiroir son masque humain pour le cas où on lui demanderait de parler en tant que personne. C'est en s'efforçant de rester invisible qu'il a une chance qu'on l'autorise à ne plus l'être et à laisser son nom dans l'Histoire.
Psychose, mystique et sans-nom
Les difficultés à gérer l'identité, dont le fait de parler en son nom propre, peuvent signaler des psychoses mais même si des scientifiques au style "autiste" ne manquent pas, c'est plutôt vers la mystique qu'on pourrait relier le refus de parler en tant que personne.
En se plaçant en tant qu'être neutre, le scientifique entend dire la Vérité de la Nature elle-même. L'abandon de sa personne se fait pour le gain du Monde. C'est l'âme de Platon contemplant les Idées éternelles, c'est la Raison de Spinoza où l'on pense comme Dieu (c'est-à-dire la Nature), c'est Newton déclarant "Les mathématiques sont le langage de Dieu".
N'être personne pour être tout le monde.
Ce sera une piste pour un sujet futur sur la relation Sujet-Objet et le dépassement de la critique de Kant qui semble condamner toute prétention à l'objectivité réelle.
CONCLUSION
Ce sujet qui pourrait sembler assez léger et relever simplement d'une revendication de modestie ou de questions pratiques, peut être symptomatique d'une certaine vision du monde où la gloire de l'Eternel remplace la vanité du Moi.
Et en s'abandonnant à la quête de la Vérité, le scientifique représente le Bien selon le principe moral Vrai = Bien, ce qui le rend susceptible d'obtenir la gloire. Paradoxalement, le mépris pour la vanité du Moi se change soudain en prétention à incarner le Bien."
http://forums.futura-sciences.com/archive/index.php/t-42201-science-anonyme-et-grands-noms-des-sciences.html
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Re: Témoignages [637] |
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Posté le : 13/09/2005 à 08:59 (Lu 9481 fois) | | | "le principe moral Vrai = Bien"
Et juste l'instant avant de mourir Sidi Boumediène dans son dernier souffle lança "Allahou oua el Haqq" et s'éteigna.
Haqq = ce qui est vrai (la vérité)
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Re: Témoignages [640] |
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Posté le : 13/09/2005 à 11:37 (Lu 9478 fois) | | | Merci pour cette leçon, hamdoullah nous avons encore des maitres et cela reconforte de le savoir. Invisible ou visible votre message passera
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Re: Témoignages |
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Posté le : 19/09/2005 à 03:16 (Lu 9471 fois) | | |
Citation : boumedienne Merci pour cette leçon, hamdoullah nous avons encore des maitres et cela reconforte de le savoir. Invisible ou visible votre message passera |
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